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A propos de la règle de la congrégation.

 

Le rouleau de la Règle de la Communauté, qui fait partie du premier lot de grands manuscrits découverts en 1947, a été étudié et publié par le Professeur Millar Burrows en 1951. L’édition présente simplement la photographie du manuscrit, avec, en regard de chaque planche, une transcription en caractères hébreux modernes.

 

Dans son état actuel, ce manuscrit est composé de cinq feuilles de parchemin cousues les unes au bout des autres et comporte onze colonnes d’environ 26 lignes d’une écriture assez irrégulière. (Devons nous voir un lien de guématria sur ce chiffre 26 qui est exactement le total du nom d’HaChem) Les lacunes, qui n’affectent guère que le bas de chaque colonne, sont relativement peu nombreuses : le manuscrit de la Règle est certainement un des mieux conservés. Il est vraisemblable que primitivement le rouleau comprenait plusieurs feuilles supplémentaires qui s’en sont détachées par la suite et qu’on a retrouvées par fragments lors des fouilles de la grotte I : ces fragments comptaient au moins huit colonnes dont le texte a été édité par D. Barthélemy et J.T. Milik ( Disdcoveries in the Judaean Desert, Tome I, Qumran Cave I, Oxford, 1955, nos 28 a et 28 b, et planches XXIII à XXIX). Ils constituent ce qu’on appelle désormais la Règle pour toute la Congrégation d’Israël et le Recueil des Bénédictions.

 

 

 

 

PLAN et STYLE de la « RÈGLE ».

 

Établi d’après les éléments graphiques que contient le manuscrit et d’après la critique interne de chaque passage, le plan est au cours de la traduction, pour éclairer un texte qui risquerait d’être parfois ambiguë.

L’étude de ce plan, qui suit un déroulement logique (quoique d’une logique qui n’est pas cartésienne), tend à prouver que le texte actuel de la Règle n’est pas l’œuvre d’un compilateur éclectique, comme l’ont cru certains interprètes, mais l’œuvre d’un auteur unique qui l’a conçu dans son ensemble et rédigé de première main. 

L’unité du style, extrêmement caractéristique, aboutit à la même conclusion. Les différences que l’on peut observer ici ou là s’expliquent suffisamment par la variété de genre littéraire, par la diversité des objectifs poursuivis par l’auteur et par la distinction des sujets traités.

 

GENRE LITTÉRAIRE.

 

 Le texte de la Règle ne ressortit pas à un seul genre littéraire. Si l’ensemble justifie bien son titre de Règle de la Communauté, plusieurs genres littéraires se partagent les différences sections, sans nuire à l’unité de l’ouvrage.

En tous les domaines l’auteur s’inspire de très près de la Bible qu’il connait à fond. Si les citations explicitent sont rares (on en compte seulement trois), nombre de passages sont une mosaïques de textes bibliques cités de mémoire, d’une façon qui n’est pas toujours littérale et parfois avec une altération délibérée dans les termes ou la signification. Parmi les livres bibliques le plus souvent cités, on relève les Nombres, Le Deutéronome, les Chroniques, Isaïe, Jérémie et les Psaumes. Un tel « choix » dans les livres bibliques se comprends assez bien dans la perspective de l’auteur : désireux d’exposer une règle de vie qui soit conforme à ce que D-ieu « a prescrit par l’intermédiaire de Moïse et de tous ses serviteurs les prophètes ».   (I,3), afin que tous ceux qui le suivront « se comportent (dans) la perfection de toutes les (vérités) dévoilées aux temps (ou D-ieu) leur (manifesterait Ses) oracles » (I, 8-9), il recourt tout particulièrement aux auteurs bibliques qui mettent le mieux en valeur les diverses révélations qui sont la base du Judaïsme.  Ses réflexions sur les vicissitudes de l’histoire d’Israël lui ont montré à quel point le peuple a été infidèle à l’alliance et, en conséquence, il tente une sorte de synthèse religieuse qui accorde une place aussi importante aux réformes prônées par les prophètes qu’aux législations mosaïques primitives : c’est un retour aux sources du yahwisme qu’il préconise, en prenant à la lettre un certain nombre d’invites prophétiques qui visait d’avantage un esprit qu’une réalisation concrète. 

Ainsi le départ au désert (Isaïe 40, 3) lui apparaît comme une volonté divine qu’il faut réaliser à la lettre, alors que les prophètes cherchaient à montrer une attitude morale de redressement et, dans une même intention de revival, rappelaient l’antique fidélité des quarante années passées dans le désert.

L’auteur de la Règle n’échafaude pas une théorie religieuse personnelle. En ce sens, il n’a pas l’intention d’être un novateur. Dans la tournure d’esprit propre au judaïsme de son temps (tournure d’esprit qu’illustre bien l’Ecclésiastique), il réfléchit sur les textes sacrés. Il y trouve la matière de sa Règle de vie, marquée d’une fidélité intérieure, exigeante jusque dans les détails.

Ayant dénoncé l’alliance mosaïque, à cause des trop nombreux péchés du peuple, Jérémie annonçait une nouvelle alliance, tout intérieure celle-là (Jérémie 31, 31-34).  Telle est l’alliance nouvelle que veut réaliser l’auteur de la Règle, une alliance fondée non plus sur la seule circoncision écharnelle, mais sur la circoncision du cÅ“ur (Deutéronome 10, 16 ; Jérémie 4, 4 ; 9, 24-25) ou du mauvais « instinct » (V, 5). Il s’agit en conséquence, pour quiconque est désireux d’entrer dans cette « alliance de faveur » (I,8), en suivant la Règle de vie prônée par le « Maître de Sagesse », de constituer un Israël de ceux qui « marchent  dans la perfection » (IX,6)

L’entrée dans cette Communauté exige d’abord un renouvellement de l’alliance conçu à la manière de ceux de Josué (Josué 8, 32-35) d’Asa (II Chroniques 15,9-15) et d’Esdras (Néhémie 8, 1-9 ; 9, 1-37). Mais surtout, l’auteur s’inscrit ici dans la ligne du Deutéronome qui prévoit et codifie le renouvellement de l’alliance à l’entrée en Canaan, qui détaille les bénédictions qui sont attachées et les malédictions qui atteindront ceux qui s’en écartent (Deutéronome 28-30). Dans le même esprit que le Deutéronome, il conclut le renouvellement de l’alliance par l’exposé des deux voies ou des deux esprits qui mènent l’homme (III, 13 –IV, 26 et Deutéronome 30, 15-20).

La Communauté de fidèles dont le « Maître de la Sagesse » jette les assises est calquée sur l’organisation même du peuple d’Israël, telle qu’elle apparaît dans les textes bibliques, spécialement à l’époque de la fidélité, le séjour au désert au moment de l’Exode. Les volontaires se groupent par milliers, centaines, cinquantaines et dizaines, comme les armées d’Israël (Exode 18, 21; Nombres 31, 48.54), et les armées de la guerre eschatologique qu’il concevra plus tard recevront la même organisation (Règle de guerre IV, 1-5…). Au début de l’implantation de la Communauté, il suffira même d’un petit nombre de membres, 12 hommes et 3 prêtres (VIII, I) pour être représentatifs de tout Israël.

 

Une pareille servitude vis-à-vis des textes bibliques précise assez bien l’un des genres littéraires adoptés par l’auteur, au moins dans les passages qui traitent de l’organisation d’ensemble de la Communauté. C’est essentiellement une « règle » qui est faite des commandements de D-ieu. (HVQYM ou MSVVT) et des moyens pratiques de les suivre avec fidélité : C’est ainsi qu’aurait toujours du vivre le peuple d’Israël. Mais puisqu’il a failli à sa tâche, la Communauté en reprendra l’idéal.

Encore faut-il régler dans le détail de la vie quotidienne la manière de vivre des « volontaires pour la fidélité ». Cet objectif définit le genre littéraire de bien d’autres passages qui apparaissent comme les « Constitutions » (MSPTYM) de la Communauté. Un code pénal vient enfin sanctionner les manquements à la « Règle » et aux « Constitutions ».

 

Puis l’ensemble est repris sous la forme d’hymnes qui précisent quelques uns des règlements déjà édictés et en apportent de nouveaux. Ici, le genre littéraire s’apparente évidement aux psaumes, canoniques et surtout apocryphes, dont on retrouve la forme, les termes et le cheminement de la pensée dans les Hymnes découverts à Qumrân.

La Règle de la Communauté est donc un ouvrage complexe où se succèdent et parfois chevauchent des genres littéraires différents qui, sans être propres à Qumrân, y prennent cependant une certaine originalité. De ce point de vue en tous cas, la Règle semble constituer un des premiers essais de réglementation d’une vie monastique juive, et c’est pourquoi nous n’avons pas hésité à utiliser les termes, bien de notre temps pourtant, de « Règle », de « Constitutions », de « Code pénal ». Tel parait bien être l’esprit de l’œuvre réalisée par le « Maître de Sagesse ».

 

SITUATION HISTORIQUE.

 

On ne relève dans la Règle de la Communauté aucune allusion à des faits historiques précis. Étant donné les genres littéraires adoptés, cette absence n’est pas pour surprendre. Tout au plus peut-on induire de certaines affirmations quelques éléments d’une situation historique, qui permettent de dater approximativement la première rédaction de l’ouvrage.

Du texte actuel de la Règle semble se dégager l’impression qu’à l’époque de sa rédaction, la Communauté se trouvait encore a un stade embryonnaire : l’auteur prévoit en effet qu’il suffira de quinze membres pour que la Communauté soit représentative : on est assez porté à en conclure qu’au moment ou l’auteur écrit, la Communauté ne comptait pas encore ce minimum. Le départ au désert de l’élite de la Communauté est présenté comme une entreprise à réaliser dans l’avenir. (VIII,12-14) : l’installation au désert n’était encore qu’un projet et les bâtiments communautaires de Qumrân pas encore construits. L’embryon de Communauté vivait encore au sein de la compagnie des autres Israélites. L’allusion aux sacrifices cultuels, auxquels d’ailleurs l’auteur ajoute « l’offrande des lèvres » (IX, 4-5) indique que la secte, encore à ses débuts ne s’était pas encore désolidarisée du Temple, tandis que la Règle de la Guerre montre qu’aux temps eschatologiques les armées de la Congrégation reprendrons possession de la ville sainte (Règle de guerre I, 3) et se chargeront d’assurer le culte dans le Temple retrouvé (Guerre II, 3-6).

Ces diverses remarques concordent pour reconnaître à la Règle de la Communauté une antiquité certaine. Peut-être même est-elle le premier ouvrage composé par la secte, à une époque reculée, avant que le « Docteur de Justice », son organisateur, n’ait essuyé les persécutions fomentées par le « Prêtre impie » dont parle le Commentaire d’Habacuc (I, 13…)  Sans doute est-il possible de remonter plus haut encore et de voir dans la Règle un projet établi d’avance d’après lequel se serait, par la suite, constituée la Communauté prévue. Si une telle conclusion est vraisemblable, elle reste cependant à l’état d’hypothèse, faute d’Éléments comparatifs suffisamment clairs.

 

La première rédaction de la Règle de la Communauté se situerait donc à l’époque de la persécution déclenchée par Alexandre Jannée (103-76 av. JC) contre les pharisiens et, selon toute vraisemblance, contre le « Docteur de Justice » et ses adeptes, héritiers, comme les pharisiens des Assidéens de l’époque macchabéenne ( 95av. JC ; Yosef, Antiquités juives, XIII, xiii, 5, 372-376 ; XIV, 2 379-383 ; Guerre des juifs, I, IV 3, 88). En tous les cas, la Règle de la Communauté a été écrite avant la Règle de la Guerre, avant la Règle pour toute la Congrégation d’Israël et avant aussi la plupart des hymnes.  Les remarques précédentes contribuent à renforcer l’impression qu’elle est l’une des premières oeuvres du « Docteur de Justice », qui se désignerait lui-même par l’expression de « Maître de Sagesse ». D’après le fragment de la grotte 4 (I, i ; III, 13 et V , i) . Est-il possible d’aller plus loin et de tenter une identification du « Docteur de Justice » et du « Maître de Sagesse », avec le personnage dont Yosef rapporte le don prophétique, Judas l’essénien (Guerre des juifs, I, iii, 5, 78-80) Cet épisode se situe sous le règne d’Aristobule (104-103 av. JC) et Judas était alors un vieillard. Il se trouvait dans le Temple et il était entouré de ses familiers. Yosef ajoute qu’il avait alors autour de lui un assez grand nombre de disciples. Sans doute à ce moment la Règle de la Communauté devait-elle déjà être rédigée depuis un certain temps. Ceci engage à faire remonter la rédaction plus haut que 110 av. JC

 

Quant aux rapports entre la Règle de la Communauté et le Document de Damas, il est assez généralement admis que l’antériorité revient à la Règle, quelles que soient les solutions préconisés pour la datation relative des autres manuscrits de Qumrân par rapport au Document de Damas.

 

 

 

 

 

 

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