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RÉSUMÉ ORIGINES DE LA QABALAH

Résumé

 

La Qabalah, vient de la racine hébraïque QBL, "recevoir". Le maître, "celui qui sait", donne, et l'élève, celui qui questionne, reçoit. Le qabaliste se perçoit comme l'élève.

 

La Qabalah est une manière de regarder le monde, de se regarder voir le monde. Cette "manière" est originale parce qu'elle associe l'attente d'une révélation fulgurante (la voie mystique, ou intuitive) à l'étude patiente (la voie rationnelle). Autrement dit, le qabaliste cultive l'art de comparer et de rendre compte de ses observations tout en intériorisant l'expérience de l'Unité retrouvée. Il fait travailler en même temps les deux hémisphères de son cerveau. Ses exercices ont pour effet d'établir des connexions entre la raison, l'intuition et l'imagination. Sa démarche est à la fois intellectuelle et spirituelle.

 

Le qabaliste voit dans le discours parlé ou écrit un sens qu'il faut décrypter. Le récit biblique, clair pour l'esprit simple, est pour lui obscur et surchargé de sens. Il a l'intuition qu'une "certaine" structure cachée le sous-tend. Que tout ce qui est différencié et palpable, procède, par émanation, d'une source primordiale, indéfinie, homogène.

 

En hébreu, un seul mot désigne le mot et la chose: davar. Les choses existent dans la mesure seulement où elles sont nommées. L'enseignement qabalistique postule que le mot porte la réalité, que la vibration infinie de la voix porte l'univers. Dieu a dit: "Que la lumière soit" et la lumière fut. La parole crée.

 

Faut-il en déduire qu'au commencement était le verbe? Pas tout à fait. Le commencement (rechit) était vide et silencieux. Mais alors, comment l'Univers a-t-il surgi de cet espace vide et silencieux?

 

C'est la grande question qui hante tout qabaliste.

 

Selon Isaac Luria (1534-1572), le premier acte de Dieu aurait été non pas un déploiement vers l'extérieur (impossible puisqu'il est tout) mais un repli, une contraction. Au commencement, Dieu se serait retiré, rétracté, permettant ainsi la naissance du monde, sous la forme, en tout premier lieu, des vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque. Ce repli, ce "manque à être", autrement dit ce vide autorisant autre chose à être, est nommé le tsimtsoum, un concept essentiel dans la qabalah.

 

Pour un qabaliste, un texte, même clair, est obscur et doit être décrypté.

 

Pour le qabaliste, la langue hébraïque est donc la matière même du monde. Tout élément d'un texte, chacune de ses lettres, chaque élément de la forme d'une lettre, les espaces entre les mots et entre les lettres, doivent être compris et décryptés: aucun élément n'est dû au hasard, chaque élément a un sens et une place dans la cohérence de l'ensemble.

 

La Qabalah,  a donc imaginé, entre autres, une méthode d'interprétation qui met en rapport les uns avec les autres des mots en fonction de leur valeur numérique, calculée comme dans la numérologie moderne. Cette méthode, la Guématria (du grec gematria, "art de mesurer tout ce qui est dans le ciel et sur la Terre", qui a donné notre mot géométrie) suscite des rapprochements de mots d'une grande portée philosophique, et répond au désir le plus vif du qabaliste, qui est d'expliquer la langue par elle-même et non par l'intermédiaire des concepts qu'elle véhicule.

 

Cette méthode a permis aux talmudistes des premiers siècles de l'ère chrétienne (le Talmud est un recueil de traditions rabbiniques interprétant la loi de Moïse) de répondre à certaines questions fort anciennes qu'ils se posaient, le sens littéral du texte biblique est-il le sens tout court ou bien n'est-il que l'enveloppe d'un sens qui, lui, doit être décrypté ?

 

Il est a noter que nous pensons que le Talmud n'aurait jamais du être écrit, que le sens oral (la tradition) de la Torah aurait du rester transmise verbalement comme l'avait demandé notre Adon.

 

Et dans cette seconde hypothèse, pourquoi le "vrai" sens serait-il caché ? La vérité serait-elle terrible ? Faudrait-il, pour l'entendre, être préparé ? D'ailleurs, où sont les clefs des portes à ouvrir ?

 

Et comment ouvrir ces portes ?

 

Et pourquoi ?

 

La Qabalah désigne l'effort produit pour poser ces questions et pour y répondre.

 

La Qabalah a joué un rôle important dans l'effervescence intellectuelle de la Renaissance: elle opposait en effet à la vision scholastique d'un monde figé, créé une fois pour toutes, la vision d'un monde en création perpétuelle. Le qabaliste a en effet l'habitude de regarder les "systèmes" avec une certaine hauteur, convaincu qu'ils se rejoignent à un niveau plus élevé. A l'heure des querelles provoquées par la Réforme de Luther, le qabaliste, répugnant à prendre parti, s'efforce de jouer les conciliateurs, à l'image de Paulus Ricius, qui ne réussit de la sorte qu'à s'attirer des ennuis des deux parties.

 

Le qabaliste rompu aux divers "niveaux" de lecture (que ce soit les douze niveaux de Cordovero, les sept d'Aboulafia, détaillés plus haut, les quatre de Pic de la Mirandole ou les trois de Ricius) considère qu'un texte peut toujours être lu autrement, que les récits et les thèses peuvent toujours être pénétrés au-delà de leur sens littéral. Ce qui permet et encourage évidemment la tolérance. Or, encourager la tolérance, c'est vivifier le désir d'en savoir plus, c'est apprendre la disponibilité de l'esprit. La bienveillance à l'égard de l'autre en découle.

 

A cette époque, le conformisme ambiant imposait à tous l'idée que la Vérité avait déjà été dite dans tous les domaines. Personne ne se voulait donc libre. Tous étudiaient les Anciens, convaincus que la Connaissance réside dans le passé. Si Copernic a osé exposer l'idée que la Terre tourne autour du Soleil, c'est qu'il l'a trouvée dans des textes grecs antiques. Pour obtenir droit de cité, le neuf devait toujours être cautionné par l'ancien.

 

L'intérêt de la qabalah était d'offrir une caution traditionnelle formidable à ceux qui désiraient développer une nouvelle manière de voir le monde. Pour atteindre à cette vision nouvelle, il leur suffisait en effet de commenter "ad libitum" la vision antique... D'autant que, pour la qabalah, le divin (le non changeant) n'exclut nullement le mouvement (et son corollaire le progrès), et la nécessité d'aller "au-delà" de toute certitude (de tout "niveau" de lecture) est inscrite dans l'ordre éternel des choses.

 

Pour la Qabalah, si la vérité première peut être figurée, voire nommée, elle ne peut être contenue dans une explication. Le texte, les discours, les mots disent tout, mais ce qu'ils disent, en dernier ressort, est inaccessible.

 

En revanche, le jeu sur les lettres apporte, comme on l'a vu, des surprises. Certaines associations étranges, peuvent, à la réflexion, devenir éclairantes -jusqu'au vertige parfois. Et certaines associations subtiles faire percevoir des évidences simples et merveilleuses qui, autrement, fussent passées inaperçues.

 

Il ne s'agit pas, bien sûr, de regretter la rationalité, mais de l'affiner et de l'élargir en reconnaissant la légitimité du rêve et des impressions.

 

Reste toutefois un dernier piège, un piège mortel: celui de se prendre au sérieux. Pour la qabalah, toute explication, qabalistique ou scientifique, est en dernier ressort une farce que nous jouent le langage et la raison. Raison pour laquelle l'humour doit régner collégialement avec la raison, l'intuition et l'imagination.

 

L'humour prévient. L'ambiguïté de l'humour est consubstantielle à l'ambiguïté des choses et des idées. L'humour permet de vivre avec la multiplicité des significations. L'humour manifeste l'énergie vitale.

 

Quiconque ne cultive pas l'humour s'arrête en chemin. Rétrécit dans ses certitudes. Pontifie. Condamne. Puis, inévitablement, tue. Se prendre au sérieux, c'est transformer la loi d'Amour en code de haine et de mépris.

 

C'est dire: "Je sais".

C'est dire: "J'ai compris".

 

Rien ne saurait être pire.

 

Là, réside le mal suprême.

 

 

 

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